samedi 15 mai 2010

Livres


Le transcendement du verbe et de l’écrit


« On s’habitue à tout dans la vie. On s’habitue même à attendre quelqu’un qui ne vient jamais. Et le plus dur, c’est que ce quelqu’un là, cet inconnu, cet Autre, toute la vie, c’est soi. »(P.127)



En septembre 1998, Karim Sarroub  publiait " à l’ombre de soi", premier roman qu’il dédiait notamment au peuple algérien, dans lequel il fait le récit d’un homme qui sort de prison, et s’en va errant à tout hasard dans les rues de Maubeuge et paris.  Zoheir personnage principal, homme étrange et laconique, enfermé dans sa solitude, se meut à travers les avenus scrutant se qui l’entoure, comme si niché dans l’œil d’un cyclone il observait le spectacle de la vie qui semble l’étourdir avec ses bruits et  ses couleurs. Des personnages croisent son chemin, parmi eux, Anne qui l’invite à passer Noël avec sa famille, des amis retrouvés à Paris…..mais quelle importance !

À l’ombre de soi est une œuvre dont la valeur est inhérente ; le style est très fluide, l’écriture est d’une fadeur excise, l’histoire d’une simplicité trompeuse où dès le premier chapitre, à la première page l’illogisme et l’absurdité s’invitent « C’était la fin d’une journée agitée, d’une saison froide, d’une année comme les autres. La pendule, devant moi, indiquait non loin de neuf heures et demie du matin… » (P.11). Loin de nous entrainer dans un abîme d’incompréhension, le narrateur  nous mène au contraire vers l’acceptation inconditionnelle de sa conscience, le lecteur adhère à la subjectivité du protagoniste jusqu'à voir s’éclairer «la ville… d’un soleil tout noir » (P.173)

Un chef d’œuvre de discrétion, riche d’énigmes, de détours et d’hésitations. Au fil des pages, le narrateur décrit avec une grande minutie et dans les moindres détails ce qu’il voit au cours de ses déambulations ; la pluie, un chien errant, un vieil homme, un café bondé de monde, le froid, les silences, l’attente, l’étonnement, le vide…et cette curieuse volonté de l’auteur à s’attarder sur l’inessentiel ou cet intentionnel  passage à coté de l’essentiel est déroutant, Sarroub est incontestablement un écrivain à la plume pudique. En effet son  roman est fait de paroles muettes qui noircissent des pages et des pages de leur silence, et l’histoire de Zoheir,  cet homme « en marge de sa vie » (P.83) n’est peut être finalement qu’un prétexte pour dire l’impuissance des mots de cet auteur en marge des ses écrits. Plus qu’un roman, c’est un véritable essai sur le rapport aux mots et à l’écriture pour qui sait lire entre les lignes, et c’est cette dramatisation du rapport au langage qui est le fondement même de la littérature appréhendée  dans toute sa noblesse.
Jean Giono à écrit « ils bâtissent avec des pierres et ils ne voient pas que chacun de leurs gestes pour poser la pierre dans le mortier est accompagné d’une ombre de geste qui pose une ombre de pierre dans une ombre de mortier, et c’est la bâtisse d’ombre qui compte ». Lire « à l’ombre de soi » et savoir toujours que seul l’ombre de cet écrit compte, parce qu’ici la littérature commence là  le pouvoir des mots s’arrête.
À l’ombre de soi, de Karim Sarroub (Ed. Mercure de France, 1998)

(Paru dans L'ivEscQ - n°6 - Mai/Juin 2010)



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