Dans votre prologue ainsi qu’au début du roman, vous expliquez à plusieurs reprises votre choix pour le style allégorique, à croire que vous vous en justifiez. Pourquoi avoir tenu à le faire Redoutiez-vous que le public n’adhère pas à votre apologue ?
D’emblée, je tiens à vous expliquer que j’ai utilisé, sciemment et consciemment, ce style que je trouve attirant et attractif pour intéresser le public, comme vous dites. Maintenant, pourquoi expliquer et expliciter ce choix d’écriture, tout simplement parce que j’ai tenu à convaincre davantage mes lecteurs sur mes nobles intentions qui sont, un, l’espoir de rendre plus agréable et plus facile la lecture d’un roman qui se veut porteur d’un message pour les jeunes, et deux, le désir de participer au débat social qui s’engage tous les jours dans le pays, sans aucune velléité de nuisance à qui que ce soit.
Ainsi, pourquoi me justifier ? Non, pas du tout ! Ne se justifient, à mon avis, que ceux qui ont «quelques manques» à combler ou quelques mauvais souvenirs à enterrer et, bien entendu, ils veulent les exorciser…, n’est-ce pas ? Le problème n’est vraiment pas là. Cependant, si j’ai beaucoup insisté sur ce choix pour le style allégorique, c’est parce qu’il n’est pas tellement usité chez nous dans l’écriture du roman, et il fallait vendre ce produit sur le marché de la lecture.
Là aussi, ne comprenez pas que j’ai des intentions mercantiles, loin s’en faut. Le livre ne rapporte rien à l’auteur si ce n’est cette satisfaction de contribuer à la promotion de la culture. Cela aussi est un autre débat qu’il faudrait envisager très sérieusement.
Enfin, je vous informe que ce roman a eu sa part d’adhésion et tous ceux qui l’ont lu m’ont contacté pour me livrer leurs impressions…, leurs bonnes impressions, je voulais dire.
La forme de votre roman est manifestement surréaliste, cependant son contenu est d’une absolue fidélité à la réalité. Comment êtes-vous arrivé à conjuguer ces deux composantes que sont le réel et le fantastique?
Encore une fois, je l’ai voulu ainsi. J’ai profité de ce style pour me permettre de surfer sur les «problèmes» au quotidien pour dire clairement ce que nous ressentons dans un environnement qui se délabre au rythme de notre inconscience. Et après tout, ne doit-on pas innover pour faire passer des messages, lorsqu’on est conscient que le but dans ce genre de roman n’est pas spécialement les tournures de style et l’éloquence, mais plutôt la pensée que l’on transmet aux lecteurs, à travers des situations données qui sont racontées par les animaux, en prenant exemple sur Ibn al-Mùqaffa, avec son fameux chef-d’œuvre «KalilawaDimna» ?
En fait, le surréalisme et la fidélité à la réalité sont effectivement bien conjugués dans ce roman. Parce que d’une part, c’est agréable de faire parler les animaux, et je trouve que le roman passe mieux de cette manière ; d’autre part, parce que je peux dénoncer certaines situations et faire des remarques, toutes aussi dures les unes et les autres, sans pour autant écœurer le lecteur ou l’ennuyer avec des affaires récurrentes qui sont dénoncées au quotidien par la presse nationale qui interpelle l’Etat, dont les responsables ont décidé de faire la sourde oreille et de ne s’y intéresser même pas.
Vous vous imaginez si j’avais écrit un livre dans ses «dimensions réelles», c’est-à-dire en relatant, comme dans un rapport circonstancié, l’affaire Khalifa où les autres que j’ai énumérées et en m’attaquant à certains responsables qui ne font vraiment pas l’affaire et qui sont dénoncés continuellement par les medias ou tancés vertement par le premier magistrat du pays ? Qui m’aurait lu, je vous le demande ? Ne pensez-vous pas que j’aurai, tout simplement, pissé dans un violon ? Tandis que là, quand j’emploie ce style allégorique, je peux dire que le roman sera lu d’un trait.
C’est cela mon roman surréaliste qui va nous mener dans un monde sur lequel je pose inévitablement un regard critique, mais littérairement politique, «avec les armes de la poésie», comme le précisait Pasolini. Par ce biais, je peux faire passer des messages, sans gêner et sans m’exposer aux reproches de quiconque. Alors, dans cette situation qui me permet d’agir «selon mes moyens», je profite pour dire ce que je pense être la vérité, avec des sentiments sincères, reproduits par une plume aussi sincère que passionnée d’honnêteté et de droiture.
Et ce que je dis là, n’est pas de la prétention parce que beaucoup de mes lecteurs – je le répète encore une fois – m’en ont parlé avec autant de reconnaissance, que de plaisir et de respect. Je les remercie du plus profond de moi-même.
L’idée du roman s’est-elle, dès le départ, imposée à vous sous cette forme-là, ou est-ce votre imagination qui a évolué au fur et à mesure que le livre se précisait dans votre esprit ?
Je vous avoue que l’idée du roman m’est venue facilement, tout simplement…,elle s’est imposée dès le départ, pour se concrétiser à travers le voyage d’une mouche qui, et je l’explique en une furtive digression dans le réel, a bel et bien fait le voyage avec moi d’Alger à Paris. Je ne dirai pas plus sur la mouche, «l’héroïne», parce que je dois laisser ce privilège aux amateurs de sensation de découvrir, dans le surréalisme du roman, certaines tranches de vie clairement exprimées. En effet, elle m’est venue comme cela, parce que c’est à travers l’écriture que l’on peut faire jouer son imagination, deviser avec son esprit en le soumettant aux acrobaties de forme et de syntaxe pour lui soustraire des idées et des concepts et les jeter aux pieds d’une société vivant dans l’indifférence et l’ennui, le mal et l’injustice, subissant la dégradation et l’obsolescence.
C’est sûr aussi que mon imagination a suivi l’écriture du roman et ce n’est pas le contraire. Parce que le roman s’est imposé à moi… Il est devenu une nécessité, du fait qu’il est l’interprétation fidèle d’une situation qui se trouve réellement sur le terrain, dans notre jungle des humains, où abondent les prédateurs dans un système qui est en train de se mordre la queue. En effet, et vous l’avez certainement deviné, bon nombre de personnes se reconnaîtront dans ce que j’ai écrit. Et comment ne se reconnaîtraient-ils pas quand les «histoires» que je raconte ont la clarté de l’eau de roche, franchement ! Comment ne se reconnaîtraient-ils pas quand j’écris dans les détails ce que tous les citoyens algériens ressassent dans leur esprit : ces affaires scabreuses qui jusqu’à aujourd’hui n’ont pas trouvé leur dénouement ? Mais malgré cette indifférence des concernés et ce mépris des autorités, j’écris…, courageusement, inlassablement, jusqu’à ce que la justice retrouve ses moyens, en fait son indépendance, pour s’appliquer selon les normes établies par un Etat qui se respecte. Je sais, par les faits que l’Histoire nous enseigne, que jamais un crime n’est resté sans solution ou que des affaires importantes ne soient éclaircies. Il faut du temps, bien sûr. Attendons donc, sereinement, pour que demain nous «n’écrierons que des romans qui feront dormir tranquillement nos enfants et nous donneront le goût de les lire paisiblement, le soir, au coin du feu», et c’est ma dernière phrase du roman.
Votre roman est paru il y a de cela deux ou trois mois pourtant vous avez achevé de l’écrire le 25 juin 2008, pourquoi avoir tant attendu avant de le publier ?
Là, j’ose vous apporter encore d’autres éclaircissements. En effet, j’ai bouclé le roman en 2008. Je l’ai bien précisé à la fin de l’ouvrage, et pour des raisons évidentes, dont j’ai le courage de vous en parler et, par là même, d’en informer les fidèles lecteurs de votre excellent magazine.
En réalité, le roman, je l’ai terminé en 2006. J’étais encore responsable de cette grandiose manifestation d’«Alger, capitale de la culture arabe», pour l’année 2007. Et là, je me suis interdit de profiter de mon titre pour le publier et peut-être gêner les plus hautes instances du pays, en leur jetant un pavé dans la marre, avec la parution de ce roman qui est loin de les caresser dans le sens du poil.
La deuxième raison est que j’avais en chantier deux livres d’Histoire, l’un sur notre participation en Andalousie (La clé d’Izemis) et l’autre sur cette fameuse capitale de la Maurétanie du temps desrois numides, (De Iol à Caesarea…, à Cherchell). Ensuite, j’ai entrepris l’écriture d’un autre, (Les Algériens de Bilâdec-Shâm) pour terminer cette trilogie à laquelle je me suis attaché avec beaucoup de dévotion et de plaisir.
Cela dit, je vais encore plus loin pour expliquer le pourquoi de cette parution précisément, en cette période… 2008, et vous me le permettrez… Je dois en effet vous informer que j’ai publié ce roman pour ne pas m’inscrire dans le registre des sourds-muets, ou dans celui des courtisans invétérés qui passent leur temps à chanter les louanges d’un système comme le nôtre, un système éculé, qui ne veut pas, malheureusement, se rectifier une fois pour toutes, en sachant que nous avons les moyens d’une politique de changement radical qui s’avère nécessaire pour notre pays. Ainsi, les lecteurs comprendront que je ne peux paraître, aux yeux du monde, comme cet opportuniste qui, voyant les effets de la contestation dans la plupart des pays arabes, s’évertue à se comporter en moraliste dans son pays qui, lui aussi, vit le marasme et l’obsolescence comme les autres.
À l’image de "l’exil fécond", vos livres ne sont pas peu engagés. Naissent-ils du devoir d’écrire, de la nécessité d’un Mea culpa (puisqu’il en retourne dans plusieurs de vos écrits) ou du besoin d’une catharsis?
D’abord, on écrit que lorsqu’on a beaucoup de choses à dire. On écrit aussi, lorsqu’on est généreux, lorsqu’on veut partager ce qu’ona de plus précieux dans notre cœur, dans notre esprit. Et bien évidemment, on écrit parce qu’il y a ce devoir d’écrire, avant tout ; ensuite, il y a cette envie de s'extérioriser et enfin de communiquer avec les autres, parce qu’on veut exister.
Sur un autre chapitre, il est vrai, comme vous le dites si bien, que mes écrits sont engagés. C’est naturel chez un auteur comme moi qui a passé la majeure partie de sa vie en s’impliquant, honnêtement et totalement, dans toutes les situations qui concernent son environnement immédiat, c’est-à-dire son peuple, sa jeunesse, le développement de son pays, ainsi que ses réussites et ses échecs. Et dans tout cela, il y a de temps à autre, ce mea culpa que je fais courageusement dans mes écrits car, encore une fois, j’étais responsable au plus haut niveau et je le resterai dans la mémoire des gens. Ainsi, je partage les causes de ce que nous sommes aujourd’hui, du fait qu’en aucun cas, on ne peut «saucissonner» l’Histoire de notre pays…. En d’autres termes, ce qui se passe aujourd’hui…, nous vient en partie d’hier, incontestablement.
Quant au besoin d’une catharsis, je ne vois pas pourquoi, du moins me concernant…, parce que je n’ai aucun remords quant à mes années passées dans la responsabilité, même si le destin veut que je sois responsable au même titre que d’autres, sur le plan collégial. Là aussi, j’assume mes fautes – éventuellement – et je souhaiterai que l’on fasse de véritables bilans et que l’on dise toute la vérité, pour déterminer exactement la culpabilité des uns et des autres, dans tous les domaines. C’est pour cela qu’aujourd’hui, si je suis caustique, quelquefois, comme le constatent certains de mes amis, c’est que «je n’ai pas de paille dans le ventre».Donc la catharsis, dans ce contexte précisément…, je la laisse à d’autres !!
Dans votre livre, vous vous adressez avant tout aux jeunes, comment ont-ils reçu votre livre, et quel écho avez-vous eut de leur part ?
Dans ce roman, ou dans tous mes autres écrits, je m’adresse précisément aux jeunes. Est-ce un rituel, une éducation doublée d’une conviction, ou est-ce, tout simplement, un retour d’âge qui donne de la nostalgie, se demandera le lecteur ? C’est plutôt la première hypothèse, car je n’ai jamais oublié ce temps merveilleux de la jeunesse où je donnais le meilleur de moi-même. Ainsi, je vis constamment cette période en mon for intérieur et, pour tout dire, je ne me suis jamais senti vieillir, même si le poids des ans me dit chaque matin, face à la glace, que je n’ai plus mes vingt ans…, depuis longtemps.
Mais écrire pour la jeunesse, c’est contribuer à sa formation, c’est faire un travail concret avec cette force d’initiative et de création, avec ce potentiel d’avenir…, les autres, les gens de mon âge, m’intéressent moins car ils connaissent la vérité, pour l’avoir vécue.
Maintenant comment ces jeunes ont reçu mon livre, eh bien, ils l’ont beaucoup apprécié. Certains naïvement – parce qu’ils n’ont vu que l’aspect fantastique –, d’autres, plus éveillés, ont perçu le message et nombreux m’ont contacté pour me livrer leurs sentiments.
Avez-vous encore des choses à leur communiquer (écrirez-vous encore) ?
Beaucoup, avec tous mes projets, plutôt avec un programme bien ordonné que je suis en train de réaliser. Vous savez, il est maintenant quasiment établi que je ne peux passer une année sans produire au moins un ouvrage. Ce n’est pas une course contre la montre, mais c’est le désir profond de vouloir être utile, justement pour cette jeunesse, qui est en droit de connaître son passé, son présent et surtout son avenir pour mieux le réaliser avec la conviction qui doit l’animer pour mieux réussir.
Vous avez écrit de nombreux textes journalistiques, des essaies et des romans, ce sont là des formes d’écritures différentes, direz-vous qu’elles se complètent ou qu’elles se concurrencent ? Et comment passez-vous de l’une à l’autre?
Effectivement, mes écrits sont nombreux. Dix huit (18) ouvrages pour l’instant, confortés par de nombreux articles et études dans la presse nationale et internationale. Je comprends qu’il s’agit là de formes d’écriture différentes, et cela ne me dérange aucunement. J’ai tellement vécu d’expériences dans ma vie professionnelle que j’ai pu aisément me confronter à des cultures diverses et à des réactions plurielles qui m’ont façonné dans ce moule de cadres, aptes à pénétrer de nombreux domaines sans éprouver la moindre gêne.
Pour ce qui est de mes productions et de leurs formes d’écriture, c’est vrai qu’elles sont différentes, mais c’est vrai aussi qu’elles se complètent, à cause de ce dénominateur commun qui traduit le message pour la jeunesse à qui je conseille de s’imprégner de nos bons actes, de rejeter les mauvais et de prendre toujours le bel exemple pour aller constamment de l’avant. Mes productions se concurrencent également, parce qu’elles rivalisent d’habileté, au fur et à mesure que je me lance passionnément dans l’écriture. C’est alors que je passe de l’une à l’autre (concernant les formes d’écriture) avec une grande aisance qui me permet de ne pas tituber et aller dans l’aléatoire.
Les styles ont beau se diversifier, le message est le même. Aussi lucide que patriotique. Quels sont vos espoirs quant à l’avenir du pays?
Vous exprimez très bien ce qui est en mon for intérieur. En effet, dans mes écrits le message est le même, et je l’ai toujours voulu clairvoyant, perspicace et, on ne peut mieux, responsable. De là, mes espoirs sont très grands pour l’avenir de mon pays, et ils ne verront le jour qu’à condition que l’on se retrousse les manches, que l’on ait une bonne vision du futur, que l’on s’entoure de bonnes intentions, que l’on choisissent les meilleurs cadres et pas ceux qui persisteront à demeurer les produits de ce népotisme et de régionalisme abjects, que l’on aille droit vers le travail concret, le travail bien fait, que l’on fasse appel aux jeunes, ce potentiel de changement, qu’on leur laisse la place parce qu’ils feront certainement mieux que ceux qui les ont précédés.
L’avenir de notre pays – je ne le dirai pas assez – réside dans le changement radical de ses méthodes de gestion. Il réside dans l’abolition urgente du «système» qui s’érode, se discrédite au fil des jours et nous déprécie devant ceux qui, il n’y a pas si longtemps, avaient beaucoup de respect et de considération pour nous. Il réside enfin dans l’avènement d’un authentique Etat de droit qui sera basé sur la justice, la vraie, pas celle des complaisances et des passe-droits, sur une véritable gouvernance, transparente, intransigeante au point de vue de la rigueur du fonctionnement des institutions, enfin sur un système réellement démocratique, comme celui de pays qui érigent le droit et la vertu au stade du culte et de la passion. A ce moment-là, nos auteurs se tourneront vers d’autres écritures, parce qu’ils seront moins stressés et plus détendus.
(Paru dans L'ivrEscQ n°14- Nov/Déc 2011)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire