Bahia de
tous les saints, Jorge Amado
L’Afrique mystique au cœur du pays du carnaval
C’est du destin tumultueux d’Antonio
Balduino qu’il est question dans ce roman picaresque. De ce personnage
singulier, cet enfant de la misère et des espérances, auquel la pauvreté ne
désapprendra point à rêver. "Baldo", puisque c’est ainsi qu’on
l’appelle, est orphelin et n’a que sa tante Louise pour seule famille, mais
celle-ci va perdre la raison et Baldo se retrouvera dès lors seul au monde.
Errant dans les quartiers les plus délabrés du Brésil rural, à la recherche
d’un moyen de survie, il devient mendiant, inventeur de sambas, puis boxeur, il
apprend à jouer de la guitare, travaillera ensuite dans les champs de tabac, et
sera même employé de cirque. Durant ses trépidantes aventures, il fera de
nombreuses rencontres et collectionnera les maîtresses d’un soir, ces
mulâtresses qui lui font oublier ses déboires.
Tout autour de lui change de manière perpétuelle, ne dure que son amour illusoire pour
Lindinalva l’inaccessible, et son amitié
pour le Gros, ce jeune homme bon et pieux. Autre personnage marquant du
livre, est Jubiaba, l’homme sans âge aux innombrables pouvoirs, chez qui l’on
va danser jusqu’à la transe pour les dieux.
Devenu docker, Balduino fait l’expérience
de la solidarité et de la lutte pour la justice. Lui qui a connu sa vie durant la
marginalisation et les iniquités qui incombent à la communauté noire et aux
pauvres, participe activement à une
grève des ouvriers qui paralyse la ville des jours durant, et c’est alors qu’il
s’éveille à la citoyenneté et à la politique, il apprend à défendre ses droits
et à imposer ses idées autrement que par la force physique. C’est un
soulèvement populaire qui lui aura permis une révolution existentielle.
Ecrit par l’un des maîtres de la
littérature latino-américaine à seulement 23 ans, ce roman fut
salué par la critique, Albert Camus lui consacra un papier dans Alger
Républicain, car il apprécia dans
l’œuvre cet "Abandon à la vie dans
ce qu’elle a d’excessif et démesuré".En effet, le personnage, agit
avec fougue et s’adonne à la vie dans toute son exubérance, ne se laissant
jamais aller à la victimisation et au désespoir.
Dans ce livre la misère est décrite
mais n’est jamais prétexte aux lamentations, c’est une écriture digne. Et comme
le disait l’auteur lui-même en décrivant les protagonistes qui peuplent ses
romans ; « ces hommes et ces femmes batailleurs, pauvres sans être
tristes, exploités sans être vaincus». Et des hommes et des femmes il y en aura
beaucoup, auteur prolifique, Jorge Amado écrira plus d’une trentaine de romans
qui seront publiés dans plusieurs langues, dont les plus connus ; terre violente, les chemins de la faim, Tereza Batista…etc. plusieurs seront adaptés pour la
télévision brésilienne, et c’est notamment ce qui fait l’hyper popularité de
l’auteur dans son pays.
Né en 1912 dans une plantation de
cacao dans le Nordeste brésilien, Amado connait la rudesse de la vie de ces
gens qui travaillent la terre, vivant presque à l’état d’esclavage, et c’est
d’ailleurs un thème qui va être récurrent dans ces romans. Très jeune il
collabore avec plusieurs revues, il fait des études de droit à l’Université de
Rio de Janeiro, s’intéresse à la politique et s’engage
dans le parti communiste. L’aspect militant est une constante dans les écrits
Amadiens, et c’est une chose qui - dans un pays sous dictature - lui valut des
exils à répétition, l’emprisonnement ainsi que l‘interdiction de ses livres.
ces répressions s’intensifièrent à mesure que son engagement politique prenait
de l’ampleur. Il ne rentre au pays qu’en 1955 après de multiples voyages et se
consacre entièrement à la littérature, jusqu’à sa mort, survenue en août 2001.
Personnage singulier, bien qu’étant
l’auteur le plus populaire dans son pays, et l’un des plus traduits au monde,
Jorge Amado fait preuve d’une grande humilité et même d’effacement, les passages où il se raconte sont également
empli d’humour, il se décrit comme “l'anti-docteur par excellence;
l'anti-érudit, trouvère populaire, écrivaillon de feuilletons de colportage,
intrus dans la cité des lettres, un étranger dans les raouts de
l'intelligentsia», et se demandait avec plus de gravité : «Qu'ai-je été d'autre
qu'un romancier des putes et des vagabonds ? Si quelque beauté existe dans ce
que j'ai écrit, elle vient de ces dépossédés, de ces femmes marquées au fer
rouge, de ceux qui sont aux franges de la mort».
Cette
année, en hommage au centenaire de sa naissance (1912-2012) plusieurs
conférences, colloques internationaux et rencontres seront organisés. Aussi
lors du Festival du Cinéma brésilien à Paris, la projection des films adaptés
de ses romans seront projetés. Ceci en témoignage au grand homme de lettres
qu’il fut. Parce que les grands hommes ne meurent jamais.
(Article non
publié)
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