mercredi 23 mai 2012

Livres


Bahia de tous les saints, Jorge Amado


L’Afrique mystique au cœur du pays du carnaval

C’est du destin tumultueux d’Antonio Balduino qu’il est question dans ce roman picaresque. De ce personnage singulier, cet enfant de la misère et des espérances, auquel la pauvreté ne désapprendra point à rêver. "Baldo", puisque c’est ainsi qu’on l’appelle, est orphelin et n’a que sa tante Louise pour seule famille, mais celle-ci va perdre la raison et Baldo se retrouvera dès lors seul au monde. Errant dans les quartiers les plus délabrés du Brésil rural, à la recherche d’un moyen de survie, il devient mendiant, inventeur de sambas, puis boxeur, il apprend à jouer de la guitare, travaillera ensuite dans les champs de tabac, et sera même employé de cirque. Durant ses trépidantes aventures, il fera de nombreuses rencontres et collectionnera les maîtresses d’un soir, ces mulâtresses qui lui font oublier ses déboires.  Tout autour de lui change de manière perpétuelle,  ne dure que son amour illusoire pour Lindinalva l’inaccessible, et son amitié  pour le Gros, ce jeune homme bon et pieux. Autre personnage marquant du livre, est Jubiaba, l’homme sans âge aux innombrables pouvoirs, chez qui l’on va danser jusqu’à la transe pour les dieux.

Devenu docker, Balduino fait l’expérience de la solidarité et de la lutte pour la justice. Lui qui a connu sa vie durant la marginalisation et les iniquités qui incombent à la communauté noire et aux pauvres, participe activement  à une grève des ouvriers qui paralyse la ville des jours durant, et c’est alors qu’il s’éveille à la citoyenneté et à la politique, il apprend à défendre ses droits et à imposer ses idées autrement que par la force physique. C’est un soulèvement populaire qui lui aura permis une révolution existentielle.

Ecrit par l’un des maîtres de la littérature latino-américaine à seulement 23 ans,  ce roman fut  salué par la critique, Albert Camus lui consacra un papier dans Alger Républicain, car il  apprécia dans l’œuvre cet "Abandon à la vie dans ce qu’elle a d’excessif et démesuré".En effet, le personnage, agit avec fougue et s’adonne à la vie dans toute son exubérance, ne se laissant jamais aller à la victimisation et au désespoir.
Dans ce livre la misère est décrite mais n’est jamais prétexte aux lamentations, c’est une écriture digne. Et comme le disait l’auteur lui-même en décrivant les protagonistes qui peuplent ses romans ; « ces hommes et ces femmes batailleurs, pauvres sans être tristes, exploités sans être vaincus». Et des hommes et des femmes il y en aura beaucoup, auteur prolifique, Jorge Amado écrira plus d’une trentaine de romans qui seront publiés dans plusieurs langues, dont les plus connus ; terre violente, les chemins de la faim, Tereza Batista…etc. plusieurs seront adaptés pour la télévision brésilienne, et c’est notamment ce qui fait l’hyper popularité de l’auteur dans son pays.

Né en 1912 dans une plantation de cacao dans le Nordeste brésilien, Amado connait la rudesse de la vie de ces gens qui travaillent la terre, vivant presque à l’état d’esclavage, et c’est d’ailleurs un thème qui va être récurrent dans ces romans. Très jeune il collabore avec plusieurs revues, il fait des études de droit à l’Université de Rio de Janeiro, s’intéresse à la politique et s’engage dans le parti communiste. L’aspect militant est une constante dans les écrits Amadiens, et c’est une chose qui - dans un pays sous dictature - lui valut des exils à répétition, l’emprisonnement ainsi que l‘interdiction de ses livres. ces répressions s’intensifièrent à mesure que son engagement politique prenait de l’ampleur. Il ne rentre au pays qu’en 1955 après de multiples voyages et se consacre entièrement à la littérature, jusqu’à sa mort, survenue en août 2001.
Personnage singulier, bien qu’étant l’auteur le plus populaire dans son pays, et l’un des plus traduits au monde, Jorge Amado fait preuve d’une grande humilité et même d’effacement,  les passages où il se raconte sont également empli d’humour, il se décrit comme “l'anti-docteur par excellence; l'anti-érudit, trouvère populaire, écrivaillon de feuilletons de colportage, intrus dans la cité des lettres, un étranger dans les raouts de l'intelligentsia», et se demandait avec plus de gravité : «Qu'ai-je été d'autre qu'un romancier des putes et des vagabonds ? Si quelque beauté existe dans ce que j'ai écrit, elle vient de ces dépossédés, de ces femmes marquées au fer rouge, de ceux qui sont aux franges de la mort».

Cette année, en hommage au centenaire de sa naissance (1912-2012) plusieurs conférences, colloques internationaux et rencontres seront organisés. Aussi lors du Festival du Cinéma brésilien à Paris, la projection des films adaptés de ses romans seront projetés. Ceci en témoignage au grand homme de lettres qu’il fut. Parce que les grands hommes ne meurent jamais.

(Article non publié)

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