vendredi 13 mai 2011

Livres

Minh Tran Huy, La double vie d’Anna Song
Notes d’une musique arcane…..
« La littérature ne cesse de recombiner les mêmes mots et la musique les mêmes notes »

Ce n’est pas tant l’écriture de Minh Tran Huy, mais l’extrême originalité de son roman qui fait sa singularité, sa distinction. S’inspirant d’une affaire de plagiat musical qui a défrayé le milieu de la musique classique, l’auteure retrace ou plutôt réinvente avec un talent narratif incontestable l’histoire véridique de Joyce Hatto (Anna Song dans le roman) une pianiste décédée en 2006, et que son mari révèle au public à travers une discographie abondante qu’elle aurait enregistrée avant sa mort et qui fascina les critiques les plus renommés. Une célébrité posthume lui sera réservée, le temps qu’un de ses admirateurs découvre, grâce à la banque de données iTunes, qu’elle n’est pas la véritable interprète de ses CD. Des journalistes font une enquête et confirment qu’il s’agit d’une supercherie savamment orchestrée par le mari de la pianiste. Le scandale éclate et le mythe s’effondre.
Imagination et authenticité se confondent harmonieusement dans ce livre alternant entre des articles de journaux, qui retracent la promotion, puis, aussitôt la disgrâce d’Anna Song – l’auteure dénonce avec subtilité le sensationnalisme auquel s’adonne la presse écrite- et un récit confessionnel où le narrateur, le mari de celle-ci, raconte dans une sorte de journal intime comment son enfance fut illuminée par l’existence de celle qu’il a toujours aimé et admiré, et dont il voulait à tout prix qu’elle soit reconnue.
Le Viêtnam, pays d’origine de l’enfant prodige est largement évoqué. Les guerres et les catastrophes qui s’y sont déroulées sont racontées dans cette sobriété qui caractérise les plumes asiatiques. Et le dénouement du livre est tout simplement fabuleux. Une fin des plus vertigineuses attend en effet le lecteur, puisque les dernières pages remettent en question toutes celles qui les ont précédées. Le mari d’Anna Song clôt sa confession par une stupéfiante apologie ébranlant les certitudes les plus immuables et ouvrant sur d’innombrables questionnements : « Qui peut distinguer ce qui est vrai, juste, exacte, de ce qui ne l’est pas ? il arrive que la vérité soit tissée d’impostures, que les creux aient l’importance des pleins, que les choses tues comptent autant sinon plus, que celles qui sont dites. » « Nous sommes tous des êtres de fiction, et nos chimères nous définissent bien d’avantage que le nom, la nationalité, la date et le lieu de naissance figurant sur notre carte d’identité. Nous évoluons dans nos espoirs, nos idées, nos histoires comme les nuages flottent dans le ciel. » Comment après cela peut-on accuser un homme de ce qui est hors de jugement : l’amour jusqu’à la déraison ?

(Paru dans L'ivrEsQ - n° 11 - Mars/Avril 2011)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire